La photo de rue quand on est une femme

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Ce billet a initialement été publié dans ma newsletter d’octobre 2023.

« Well, can you see me ? I cannot see you. »

Florence + the Machine (Cassandra)

Il y a quelques jours, pendant mon scroll quotidien d’Instagram, je suis tombée sur une vidéo de Numerama dans laquelle on se demandait si le web n’était pas devenu chiant. Si, carrément. On ne se perd plus sur Internet comme dans les années 2000 où on pouvait tomber sur des sites et des portails et des bizarreries, des étonnements permanents, des espaces système D pas du tout réalisés sous WordPress, c’était le cabinet de curiosités géant du web. Aujourd’hui, difficile de zoner, à part peut-être sur YouTube et Pinterest, et encore. Et pourtant, Internet regorge de saloperies. Mon passé de rédactrice web a vu passer tout un tas de sites poubelles pas jojos. Je crois qu’Internet est devenu uniforme et gris. Chiant, CQFD.

Je passe un peu de temps sur YouTube mais c’est récent, j’ai compris il y a peu qu’on pouvait suivre des chaînes pour ne rien rater (rien de boomer là-dedans, je n’y trouvais pas mon compte jusque là). Je suis abonnée à une ou deux influenceuses, un kiné, des illustratrices, Valérie Damidot, un tatoueur, deux chaînes de marketing (c’est chiant) et des photographes, évidemment. Je trouve qu’il faut être volontaire pour découvrir de nouvelles choses. Les algorithmes des réseaux sociaux poussent les types de contenus que vous recherchez et regardez en entier, ça s’auto-nourrit, à la fois c’est bien et en même temps ça laisse peu de place à l’exploration. Cela dit, quand l’algo prend trop ses aises et nous montre du contenu auquel on n’est pas abonné·e, ça peut vite faire péter un câble. Après moi je ne suis jamais contente, mais bon.

Je regarde les photographes de YouTube parce que j’aime bien savoir comment les gens pensent une activité. Les photographes de YouTube (et parfois d’Instagram) sont aussi vidéastes, coachs, formateur·rices et font du marketing, pas trop le choix je pense. Mais alors l’uniformisation du truc c’est quelque chose… Il y a un sujet à la mode ces temps-ci, c’est la photo de rue. Moi aussi j’ai plongé, d’ailleurs j’adore ça mais ce n’est pas grave. Tout·es les photographes de YouTube ont poncé le chapitre, ou plutôt devrais-je dire tous les photographes. J’ai tapé un banal “photo de rue” dans la barre de recherche de YouTube, voici des captures d’écran des résultats :

VRAIS réglages. Toujours RÉUSSIR. Méthode ULTIME. J’aurais pu descendre le curseur indéfiniment, aucune femme. Les femmes ne font pas de photo de rue. On ne peut compter que sur les mecs pour apprendre à utiliser son matériel et à être moins timide, ils disent tous la même chose (avec peu d’humilité) en prenant toute la place. Et après ça a le culot de faire du mansplaining. Merci YouTube, quel plaisir (non).

Femme, photo de rue et éthique

Récemment j’ai regardé la dernière vidéo de Thomas Hammoudi, youtubeur photographe de son état mais avec des sujets un peu plus variés ou, du moins, une façon de les traiter moins formatée. Cette vidéo évoque l’éthique en photo de rue et parmi tout ce que j’ai regardé sur le sujet, Thomas Hammoudi est le seul à avoir évoqué la place des femmes dans cet exercice (comme modèles, vite fait et avec prudence mais tout de même). Mais l’éthique, parlons-en.

Je me suis retrouvée dans une position discutable il y a quelques semaines. J’ai rôdé mon nouvel appareil photo en Normandie pendant l’été où j’ai fait pas mal de photo de rue. Tandis que je me baladais sur la promenade Marcel Proust de Cabourg en plein cagnard, j’ai repéré un groupe de jeunes femmes sur la plage. En maillot de bain, faisant ce qu’on peut faire sur une plage l’été. Je les ai photographiées. La plage étant en contrebas, j’avais un angle me permettant une image parfaite tout en restant discrète. Une fois la photo faite, j’ai réalisé que le sujet principal était le popotin de l’une des protagonistes. Je ne m’en suis pas vraiment aperçue sur le moment, j’ai vu quelque chose de plus global. J’ai aussi réalisé que l’angle de l’image faisait d’elle une photo volée de grosse planquée mais eh, c’est le principe de la photo de rue en fait. J’ai décidé de publier la photo sur Instagram dans un carrousel, en cinquième position. Mi-à l’aise, mi-pas à l’aise, assumant toutefois.

Premièrement, l’action de prendre ma photo est légale. Deuxièmement, est-elle morale ? Troisièmement, quid de la diffusion ? Comme le dit Thomas Hammoudi dans sa vidéo et je suis d’accord avec lui, quand on se trouve dans un espace public, on accepte d’être vu·e. Ce qui pose question, c’est l’intention. Je n’ai pas peur de dire que mon genre me place en position de force. Je ne dis pas que toutes les femmes sont des saintes, je dis que je suis une femme bien intentionnée, féministe avec des valeurs et un sens de l’esthétique (enfin j’espère). Ce n’est pas écrit sur mon front, je vous l’accorde. Je trouve que ma photo est belle, drôle et respectueuse, on pourrait la voir comme empouvoirante mais pas nécessairement car nul besoin d’être badass pour être intéressante. Mais je crois (je suis sûre) que si un homme avait pris la même photo que moi, ça m’aurait énervée. J’ai choisi de la poster parce qu’on ne reconnaît pas les protagonistes et si elles me demandaient demain de retirer la photo, je le ferais sans discuter.

Je comprends qu’on trouve le geste contestable mais je dis aussi qu’avec une réflexion sensée, je peux me permettre des choses en tant que femme. Je ne sais pas comment je réagirais si on me prenait en photo dans la rue, encore moins sur une plage. Je serais plus dans une logique de contrôle de mon image. Je me trouve dégueulasse sur toutes les photos prises par les autres, aucune envie d’être moche sur un disque dur je ne sais où. Cela dit, s’il s’agissait d’une photographe, je me laisserais faire bien plus facilement qu’avec un homme (à moins de bien le connaître), c’est certain. Peut-être que vous vous demandez pourquoi je n’ai pas demandé l’autorisation de mes sujets pour la photo. J’ai deux réponses à vous donner. La première est que je suis pétrifiée à l’idée de parler aux gens, la seconde est que je n’aime pas faire poser quelqu’un dans un contexte de photo de rue. J’ai l’impression que ça donne une importance subite et déplacée à ma photo quand je désire quelque chose de simple, instantané et vrai. Je me laisse le loisir d’évoluer ou non.

Du côté bleu de la force

J’ai mis à jour ma boutique afin d’anticiper Noël. Je propose pas mal de rééditions de tirages cyanotypes et des formats différents. J’ai aussi deux nouveautés qui m’ont été inspirées par la spooky season (j’adore l’automne et octobre est mon mois favori avec mai). D’abord, un petit collage avec Pennywise dans un coin de La Roche-sur-Yon où j’aime me balader (je n’irai peut-être plus seule du coup) :

Tunnel en pierre avec la rivière qui passe en dessous et de la végétation tout autour. Ajout par collage du clown Pennywise sur un mur comme s'il était incrusté.

Et puis ce tirage qui m’a donné du fil à retordre. J’ai créé une nature morte de toute pièce dans ma cuisine, obsédée que j’étais par l’exercice, et j’ai réalisé un recto-verso qu’on peut retourner dans son cadre quand vient le bon moment :

Recto de ma nature morte qui représente une grosse citrouille, ainsi que deux autres mini citrouilles, des bougies allumées, un bouquet de fleurs séchées, un tournesol, des pommes et des feuilles mortes.
Verso de ma nature morte qui représente une grosse citrouille avec les yeux et le sourire façon Halloween, ainsi que deux autres mini citrouilles, des bougies allumées, un bouquet de fleurs séchées, un tournesol, des pommes et des feuilles mortes.

Bon, je sais que j’aurais pu m’y prendre un peu plus tôt mais eh, on fait ce qu’on peut. Voici la version en couleur :

Maintenant que tout ceci est fait, je vais pouvoir me consacrer pleinement à une série sur laquelle je travaille depuis presque deux ans par intermittence. J’en reparlerai en temps voulu !

Photo d’illustration : Annie Spratt

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