Ma culture théâtrale se trouve sous le niveau de la mer. J’ai un très mauvais souvenir d’Antigone de Jean Anouilh, pièce mise en scène par ma professeure de français de troisième, où je « jouais » Ismène. J’utilise des guillemets parce que ce n’était pas facile du tout. J’aime bien lire du théâtre, j’aime aussi en voir mais je déteste faire la comédienne. La scène et moi, on n’est pas complices. Ça doit sans doute venir d’un traumatisme plus ancien et je suis sûre que cette histoire de gala de danse, quand j’avais 7 ans, alors que j’étais beaucoup trop grande et vêtue d’un costume de coquelicot en papier crépon rouge criard, n’est pas étrangère à tout ça.
Nocturne n°13 ou l’étonnement des dieux
Nocturne n°13 ou l’étonnement des dieux est la première pièce d’Yves Baot, parue chez Édilivre. Le résumé :
Le Bataclan, un 13 novembre au soir… Histoires croisées de 13 personnages au cœur du tumulte et de l’horreur. Futurs imbriqués où le désir restera le dernier ressort de la vie qui va… Et qui gagne… Et ce Nocturne de Chopin, obsessionnel comme une berceuse étrange, accompagnera chacun vers son destin.
La pièce est composée de 6 scènes, chacune met en avant un ou deux personnages différents (seuls les binômes annoncés interagissent ensemble) pour atteindre le nombre final de 13, porte bonheur s’il en est. Il y a plusieurs fils rouges qui traversent les scènes, l’horreur du Bataclan, bien sûr, puisque c’est le thème de fond, mais aussi Chopin, dont la musique est la bande originale, et l’un des 13 personnages. Je ne vous dis évidemment pas qui c’est, ce n’est pas le genre de la maison.
Chaque scène fait référence à un épisode de la mythologie grecque et l’auteur suggère par ailleurs une mise en scène en fonction. La pièce fait 60 pages, je l’ai lue d’une traite. Je l’ai beaucoup aimée, elle va droit à l’essentiel et pourtant, chaque personnage est exploité de sorte à savoir une réelle profondeur. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer ce qu’un·e rescapé·e du Bataclan ressentirait en lisant cette pièce. Cette dernière recueille autant de joie triste que d’amertume, j’avais la gorge serrée.
Polaroïd
Un an après la publication de Nocturne n°13, Yves Baot a réitéré en publiant sa seconde pièce, Polaroïd :
Trois personnages sont là, présents, face à nous, en quête d’eux-mêmes, devant la brutalité d’un secret de famille, fantôme historique relié à une lointaine immigration des Balkans, partiellement oubliée à ce jour… Mais cette photo, vieillie, usée, que l’on ressort des mémoires, donnera-t-elle un éclairage nouveau à ce passé familial bouleversé ?
Les 9 scènes de cette pièce sont habitées par 3 personnages : Claudine, Dominique et Alain, sœurs et frère. Claudine est l’aînée et a aussi la fonction de cheffe de famille. Les parents sont morts et elle s’occupe de sa sœur. Dominique est la cadette et a un sérieux problème de mémoire. Quant à Alain, le petit dernier, il se plaint continuellement d’être pris pour un idiot alors qu’il est peut-être simplement infantilisé : est-ce un mécanisme de protection mis en place par ses aînées ?
La musique est toujours présente et l’auteur suggère ici Emir Kusturica ou Goran Bregovic afin de rappeler le secret de famille personnifié, présent et en même temps si loin. C’est d’ailleurs ce que cette pièce raconte de manière subtile et imbriquée : un mystère familial qui se présente sous la forme de souvenirs qui ne parviennent pas à être remémorés par la cadette, cachés sur des photos, dans des boîtes, les on-dit et la musique de genre. Si les principaux instigateurs ne sont plus, ces souvenirs ont-ils alors existé ? N’a-t-on pas besoin d’une preuve ? C’est le chat de Schrödinger. C’est aussi ce que laisse penser la maladie d’Alzheimer qui est une forme de mort vivante. A quoi bon rester en vie si c’est pour tout oublier, ne plus savoir qui on est, ne plus rien dissocier ? Ce sont les souvenirs qui nous maintiennent en vie.
Des deux, c’est ma pièce préférée. Sans doute parce qu’elle m’a le plus touchée. Alzheimer frappe ma famille de près et c’est quelque chose qui me turlupine.
L’auteur
Ancien instituteur, Yves Baot fait du théâtre amateur depuis de nombreuses années (j’ai d’ailleurs eu l’occasion de le voir jouer). Il a co-créé la Compagnie des Transports et s’appuie sur le théâtre du Passeur au Mans (72). Au printemps, Nocturne n°13 a reçu le prix de l’Auteur sans Piston 2018 des Pays de la Loire et sera jouée à Bordeaux et en Seine-et-Marne par des compagnies locales. Quant à Polaroïd, elle sera montée au Mans entre 2019 et 2020.
Se procurer Nocturne n°13 et Polaroïd.