Pour mon dix-huitième anniversaire, j’ai reçu en cadeau un caméscope numérique. C’était l’un des derniers modèles à cassette mais dont on pouvait traiter les vidéos grâce à un logiciel plutôt bien foutu. Je m’en suis énormément servi pendant un laps de temps très court. Tôt, il a subi un accident stupide : je me suis pris les pieds dans le fil qui le reliait au secteur. Le caméscope est tombé de mon bureau et n’a jamais plus fonctionné normalement malgré les tentatives de réparation.
Mais comme je le disais, j’ai beaucoup filmé. Principalement mes potes au lycée ou lors de soirées. À l’époque, j’ai publié quelques vidéos sur Dailymotion (YouTube n’existait pas encore). On peut dire que je postais des stories avant l’heure, le principe était exactement le même, bien que moins pratique vu le matériel utilisé.
Aujourd’hui mes cassettes se trouvent dieu sait où, alors je suis contente d’avoir la possibilité de revoir ces images dix-sept ans plus tard. Aussi à mon grand dam parce que je n’ai aucun moyen de me connecter à mon compte Dailymotion pour le supprimer (j’ai tout essayé). Mes vidéos sont publiques et peuvent être vues par n’importe qui. Il n’y a rien de honteux, juste des ados dans leur habitat naturel (les archéologues apprécieront peut-être un jour).
Je filmais mes potes au lycée ou lors de soirées. Des choses anodines, un environnement classique de jeunes du début des années 2000, des private jokes, un univers qui était le nôtre ainsi qu’à des millions d’autres. Parmi les quelques vidéos publiées, il y en a une qui sort du lot. Avant même de la revoir, je me souvenais l’avoir tournée. C’est une scène banale qui m’a pourtant marquée. Nous sommes au lycée, je filme mes potes qui sortent du self. L’un fait une blague à propos de l’autre que nous seul·e·s pouvons comprendre : « Noémie a mangé de la glace. », rires.
Cette année, ça en fait dix que Noémie est partie. Elle n’est plus qu’un souvenir démultiplié, une photo sur mon frigo, des milliers d’autres sur mon disque dur, des vidéos, plein, et puis sur Internet, pas supprimable parce qu’on ne meurt pas sur Internet. On pourrait philosopher pendant des heures sur tout ce que ça dit de notre époque et du rapport au deuil. Je n’ai pas trop envie de le faire, bien trop occupée que je suis à planquer Noémie sous mon tapis, bien trop chargée par sa disparition qui est l’une des années zéro de ma vie.
Je ne tire aucune conclusion, je ne fais que constater. Le temps passe vite, c’est amer et lourd. Faites attention à ce que vous postez sur Internet.
Image d’illustration : Alex Simpson