L’année dernière, j’ai écrit que j’avais pris le même train que PJ Harvey. Pas au sens littéral, bien que l’idée me ravisse, mais j’avais enfin pris le temps de l’écouter, ne me contentant plus de l’entendre. J’ai parlé d’elle mais j’aurais pu citer beaucoup d’autres artistes. Il est difficile de tout capter en temps et en heure, et j’aime bien l’idée qu’un disque ou un morceau ait son moment. C’est presque mystique, cette pincée de destin saupoudrée sur des planètes bien alignées. Eh bien tout ça pour dire que j’ai recommencé. J’ai besoin de vous parler de Fishbach.
À ta merci, son premier album, est sorti en 2017. On a programmé un ou deux titres dans notre émission de radio et je me suis passé le disque à cette occasion. Mon souvenir reste vague parce que je n’ai pas été attentive. Je pourrais justifier ça de cent façons mais on s’en fiche un peu. Ce n’était pas l’heure, c’est tout. Fishbach est restée dans un coin de ma tête au fil des années, je savais que je devais l’écouter mieux que ça, il fallait juste que je trouve le temps, une nouvelle opportunité. Celle-ci s’est créée d’elle-même, comme toujours : un concert le 2 avril dans ma petite ville, une demande d’interview faite pour l’émission, demande acceptée.
Allez hop, on s’y met
Je ne suis pas une sauvage, j’écoute (et regarde) le travail des artistes avant de les rencontrer et je me penche sur des interviews déjà réalisées. Je ne suis pas journaliste mais bénévole, il n’empêche que c’est la moindre des choses1. Je ne suis pas une cale en interview, c’est même plutôt l’inverse. C’est un exercice que je trouve difficile parce que l’anxiété régit une partie de ma vie et ça se traduit par la peur de ne pas savoir rebondir ou de poser des questions stupides. Heureusement, nous sommes deux, et mon acolyte est bien meilleure que moi, c’est indubitable. Nous formons un duo complémentaire ! J’ai mené une interview seule une fois, je l’ai faite parce qu’il était hors de question de passer à côté de cette artiste (il s’agissait de Simone Ringer) mais j’ai passé l’entretien à claquer des dents. Toutefois je ne regrette jamais rien parce que je passe toujours des moments géniaux, très précieux.
La semaine précédant l’interview de Fishbach, j’étais en pleine remise en question cyano-artistique alors j’ai déménagé les trois quarts de mon bureau pour m’étaler sur la table de la cuisine. J’avais besoin d’espace, de réflexion et de bidouiller des trucs. Pour accompagner un moment comme ça, j’ai besoin d’un bon disque. J’ai mis mon casque, je me suis concentrée et j’ai lancé Fishbach : À ta merci, d’abord, puis j’ai enchaîné sur Avec les yeux, sorti en février. Plusieurs fois de suite.

Immersion
Je vais faire une comparaison débile mais pas insensée. Si, comme moi, vous avez traversé les années 1990 pendant l’enfance, vous avez peut-être regardé la série Sliders. Un physicien, sa pote, son prof et un chanteur naviguaient de monde parallèle en monde parallèle grâce à un vortex créé dans le sous-sol du premier sus-cité. La bande ne devait pas louper l’ouverture du vortex sous peine de rester bloquée dans le monde précédent pendant 29 ans. Je compare donc avec les deux semaines après celle de l’interview, sa préparation et du concert qui a suivi, j’ai fishbaché mon quotidien. Un vortex fishbachien. Je me réveillais chaque matin avec une chanson différente dans la tête. J’ai fait une liste de mes titres préférés. J’ai commencé à rédiger ce billet de blog. J’avais envie d’en parler tout le temps. Ça peut sembler obsessionnel mais je dirais que c’était plutôt immersif. J’ai eu le même éclairage cérébral quand j’ai découvert David Bowie à l’adolescence et ça ne s’est jamais arrêté. J’ai des phases, comme tout le monde, mais je me concocte un baluchon de quelques artistes qui me procurent une joie particulière. J’ai intégré Fishbach à mon bagage. Et je suis totalement sobre.
Pourquoi ?
Après avoir écouté ses disques une dizaine de fois, l’avoir vue en concert et eu l’honneur de la rencontrer pour parler avec elle, je me suis sentie comme le Scirocco de ces dernières semaines, je me suis envolée, bien chargée, et j’ai voulu abattre mon lest sur toutes les bagnoles. Elle est super Fishbach / T’as déjà écouté Fishbach ? / Tu devrais écouter tel titre, c’est fou. Je suis hyper chiante, heureusement que les réseaux sociaux existent, les gens peuvent me bloquer.
Bref, la question pourrait aussi être : pourquoi elle ? Je clame toujours que la musique est subjective et qu’il faut parfois renoncer à trouver des explications. Est-ce qu’une succession de choix artistiques auxquels on adhère peut être la réponse ? Dans le cas qui m’occupe ici, j’ai établi une liste :
- Sa voix. Les voix fortes m’atteignent particulièrement et j’évoque ce sujet en particulier dans notre dernière émission (voir à la fin de ce billet).
- Ses textes. Ils peuvent être interprétés de plusieurs façons au-délà du sens voulu lors de son écriture et je trouve que plusieurs chansons de Fishbach ont un vocabulaire d’une musicalité et d’une poésie remarquables.
- La musique et sa composition. J’aime bien les hommages aux époques passées (mon kink absolu reste le rock des années 1970) et je trouve qu’il peut être casse-gueule de s’attaquer aux années 1980. C’était une période expérimentale avec du caractère (des caractères !), tout le monde n’a pas aimé ça, loin s’en faut. Fishbach retrace cette décennie avec élégance, musicalement c’est de l’or. Elle a le sens de la mélodie, de l’harmonie et du détail. Pendant l’interview, elle évoque les aberrations qu’elle peut ajouter à son travail et j’ai comparé ce dernier à celui de Christophe, c’est le même sang qui coule dans leurs veines.
- Son esthétique. Fishbach est fabuleusement gothique. Je ne suis pas en mesure de saisir toutes les références inhérentes à son art mais étant friande de littérature gothique et de tout un tas d’œuvres contemporaines qui s’inspirent de ce mouvement d’une façon ou d’une autre, plusieurs me traversent l’esprit quand je l’écoute. Ça va de The Hunger (Les Prédateurs, VF) de Tony Scott à Metropolis de Fritz Lang, en passant par la new wave britannique darkos et un panel d’artistes francophones (Christophe, comme je le disais, mais aussi Catherine Ringer, Muriel Moreno et probablement d’autres encore). Pour autant, c’est lumineux parce que c’est métallique et clinquant, et ça joue beaucoup avec la dualité diurne/nocturne.
Je pense que la chanson la plus représentative de tout ça est Y crois-tu (À ta merci). C’est mon titre préféré parmi tous, à me mettre la chair de poule, et j’ai cru comprendre qu’il plaisait à beaucoup de monde. En fait, c’est un morceau parfait mais je n’ai pas les connaissances adéquates pour vous dire pourquoi. Simplement, il (me) donne envie d’ouvrir la mer en deux.
Du côté de notre radio locale
Je vais m’arrêter là, et je me permets de vous diriger vers le pied de page de ce site où vous trouverez le podcast de notre émission. Comme elle dure deux heures, vous trouverez l’interview de Fishbach à partir d’1h07 (et mon intervention un peu avant, à 54 minutes). Vous pouvez aussi écouter l’émission sur Deezer et Apple.
1 Je suis marquée par cette interview d’Albert Dupontel par Louis Laforge dans le JT de France 3 qui remonte à plusieurs années. Le journaliste avoue à Dupontel qu’il n’a pas eu le temps ou le loisir de voir son film mais il ne se démonte pas et commence tout de même à poser sa première question. Dupontel lui répond que s’il n’a pas vu le film, l’échange n’a aucun sens et il quitte le plateau.
Crédit photo d’en-tête : Joël Saget, AFP