J’ai une passion certaine pour la littérature gothique, celle qui s’étale de la toute fin du XVIIIe siècle aux années 1950. C’est un genre bardé de classiques, bien sûr, mais aussi de pépites parfois sous-côtées, il y a plein de romans et tout un tas de nouvelles, c’est merveilleux. J’ai très envie d’en parler autant que possible, bien que je ne sois pas une spécialiste. Juste une fan parmi d’autres. Je vais donc vous raconter deux ou trois trucs sur Frankenstein.
Qui est Frankenstein ?
Il s’agit avant tout d’un personnage inventé par Mary Shelley (1797-1851) pour le roman épistolaire et gothique Frankenstein ou le Prométhée moderne. Victor Frankenstein est un jeune médecin suisse obsédé par le concept de la vie après la mort, mais d’un point de vue purement physique et non pas mystique. Dans la culture populaire, il est vu comme un savant fou alors que le personnage originel voit son obsession aller crescendo. Toutefois, l’idée de l’homme solitaire dans son atelier à concevoir des expériences morbides par temps orageux est réaliste (enfin si j’ose dire). Premièrement, se sentant incompris de tous, il s’isole. Deuxièmement, il récupère des membres çà et là et les assemble pour sa créature. Troisièmement, il n’y a que les éclairs qui peuvent apporter l’énergie nécessaire au corps monstrueux pour qu’il prenne vie. De nombreuses adaptations cinématographiques ont vu le jour, la plus célèbre reste celle de John Whale en 1931. Boris Karloff, qui joue le rôle de la créature, a imprégné l’imaginaire collectif. Mais je vais vous parler de l’adaptation de Kenneth Branagh, réalisée en 1994 et pour laquelle j’ai une grande affection, ainsi que de la dernière en date, celle de Paul McGuigan. Parce qu’on est aussi là pour rigoler.
Le reste de l’article contient des spoilers.
Frankenstein, par Mary Shelley
Mary Shelley était une romancière britannique née en 1797 et morte en 1851. Fille de la philosophe féministe Mary Wollstonecraft et de l’écrivain William Godwin, elle a écrit Frankenstein ou le Prométhée moderne en 1818 à seulement 21 ans. Elle a été la maîtresse puis l’épouse du poète Percy Byssche Shelley avec lequel elle a beaucoup voyagé et côtoyé les grands lettrés de l’époque tels que Lord Byron. Mary Shelley et sa bande se sont un temps retrouvé·e·s en vacances au bord du lac Léman et c’est là qu’iels ont notamment passé une soirée à écrire des histoires de fantômes. C’est ainsi que Mary Shelley a eu l’idée d’écrire Frankenstein.
Le roman raconte comment Robert Walton, alors en expédition vers le pôle Nord, recueille sur son bateau Victor Frankenstein en perdition avec son traîneau. Ce dernier explique qu’il est à la poursuite de la créature monstrueuse qu’il a engendrée quelques temps auparavant.
Hormis les premières et dernières pages, le roman est écrit à la première personne du singulier car c’est Frankenstein qui raconte son histoire. Il est tout d’abord question de son enfance à Genève avec ses parents et ses deux frères plus jeunes, Ernest et William, ainsi qu’avec Elizabeth, enfant pauvre recueillie par la famille et, un peu plus tard, fiancée de Victor. Puis viennent ses études de médecine à Ingolstadt, son idée obsessionnelle de faire revenir un mort à la vie et les multiples expériences qui en découlent. Arrive la naissance de sa « créature abhorrée », la fuite et la vie de celle-ci jusqu’à ce qu’elle retrouve son « père » et lui impose la création d’un être semblable mais de sexe féminin. L’histoire se termine en pugilat meurtrier lorsque Frankenstein refuse de se compromettre une seconde fois (figurez-vous qu’il regrette).
Si je suis malfaisant, c’est parce que je suis misérable. Ne suis-je pas repoussé et haï par l’humanité entière ?
La créature à Victor, chapitre XVII

Frankenstein incarné par James McAvoy
Alors déjà, pourquoi ? Pourquoi l’existence de ce film qu’est Victor Frankenstein (Docteur Frankenstein en version française) de Paul McGuigan, réalisé en 2015 et avec James McAvoy et Daniel Radcliffe ? Encore 1h50 de ma vie que je ne récupèrerai jamais. Je savais pourtant à quoi m’attendre mais le casting était sympa, ajoutons Andrew Scott (Moriarty dans la série Sherlock), Jessica Brown Findlay (Sybil dans Downton Abbey) et Charles Fance (Tywin Lannister dans Game of Thrones, entre autres). Ce n’est rien d’autre qu’un blockbuster bourrin et pourtant je ne suis pas cinéphile.
L’époque de l’intrigue est floue mais on se situe quelque part dans le XVIIIe siècle et à Londres, pour que ce soit pratique pour tout le monde. Le personnage de Frankenstein est tellement stéréotypé que j’ai eu quelques crises de rire, c’était presque insultant. Le film commence avec la rencontre entre Victor Frankenstein (James McAvoy) et un jeune bossu (Daniel Radcliffe) prisonnier d’un cirque adepte des freaks. Tous les deux assistent à l’accident de la trapéziste Lorelei (Jessica Brown Findlay, qui n’est considérée que comme une potiche tout au long du film, quel malheur) qu’ils sauvent en urgence d’une mort certaine. Victor est étudiant en médecine et remarque que le bossu s’y connaît plutôt pas mal en anatomie. Le premier aide le second à fuir le cirque, non sans mettre la zizanie et un mec meurt. La police, incarnée par Andrew Scott, débarque et Victor et le bossu sont recherchés. Victor soigne la bosse du bossu qui se tient droit en deux coups de cuillère à pot, même s’il a passé les vingt dernières années à la perpendiculaire, et se voit soudainement attribué d’un nom, Igor (quand tu es moche, tu n’as pas le droit d’être nommé, c’est la règle). C’est alors que surgit le fameux mythe de l’assistant de Frankenstein, le fidèle Igor, qui n’existe pas dans le roman de Mary Shelley. En revanche, il est apparu dans la première version cinématographique de 1931 de James Whale.

Nous voici dans une symbolique foireuse aux gros sabots disant qu’Igor est la création de Frankenstein. Après l’apparition d’un singe détestable, il y a quand même eu un monstre humanoïde à la fin du film, tout d’images de synthèse revêtu et au charisme d’huître. Dire qu’on avait Robert DeNiro dans le film de Kenneth Branagh… Bon, et au-delà de ça, on nous sert une dimension biblique, un Victor surexcité et un Igor en pleine crise d’ado. C’était un enfer, vraiment.
Frankenstein vu par Kenneth Branagh
J’ai toujours entendu dire que cette version de 1994 de et avec Kenneth Branagh était mauvaise. Je comprends où les gens veulent en venir, ce type est plutôt réputé pour être imbu de lui-même et ce film n’échappe pas à la règle. Paradoxalement, j’aime beaucoup Kenneth Branagh donc je ne suis peut-être pas très objective. On reproche à cette version d’être beaucoup trop théâtrale mais Branagh est shakespearien jusqu’à l’os, on va arrêter de jouer la surprise.
Ici, Victor (Kenneth Branagh, vous imaginez bien qu’il s’est donné le rôle principal) n’a plus qu’un seul frère, le petit William, et maman Frankenstein meurt en le mettant au monde. Henry Clerval (Tom Dulce, le Mozart d’Amadeus), l’ami le plus proche de Victor, est plus ou moins mis au courant de ses expériences alors qu’il n’en est rien dans l’œuvre originale, il y est même décrit comme plutôt naïf et fleur bleue. De plus, il y est assassiné par la créature tandis qu’il est en Écosse avec Victor afin que ce dernier puisse fabriquer secrètement la compagne hideuse. Cette partie est zappée dans le film et on ne sait pas vraiment ce qu’il advient de Clerval. D’ailleurs, Branagh ne s’est pas non plus attardé sur l’histoire de la famille grâce à laquelle la créature apprend à lire, parler et réfléchir. Je suppose qu’il aurait fallu ajouter au moins une heure de film et il en fait déjà deux. Il y a toutefois une évolution majeure dans cette version ciné et elle concerne Elizabeth (Helena Bonham Carter). C’est un personnage qui manque cruellement de personnalité chez Mary Shelley alors qu’elle est flamboyante chez Branagh (à l’époque, lui et Helena Bonham Carter avaient une liaison, peut-être que ça explique des choses). J’ai moins aimé le fait que Victor essaie de la faire revenir à la vie après qu’elle soit tuée par la créature (Robert DeNiro, donc, incroyable) même si je comprends le parti pris. Dans le bouquin, Frankenstein ne peut se résoudre à créer la compagne de son monstre et jette les restes à la mer (en résulte alors la mort de Clerval).
Donc, moi, j’aime bien Kenneth Branagh. Je trouve qu’il offre ici une performance exceptionnelle et amène la descente aux enfers du docteur avec force et subtilité. Il passe habilement du jeune homme joyeux, amoureux, insouciant et un peu concon à la folie pure, dure et vraie, c’est superbe. J’irai même jusqu’à dire que c’est un film qui comble les rares manques éprouvés par le récit de Mary Shelley. Oui, j’ose.

La photo d’en-tête est issue du film La Fiancée de Frankenstein, de James Whale toujours, réalisé en 1935.