Il y a une partie de ma vie personnelle que je garde secrète, elle concerne le désir d’enfant. Rares sont les personnes avec lesquelles j’ai évoqué ce sujet et je l’ai toujours fait succinctement, en étant sûre de mes interlocuteur·rice·s. Donc, concrètement, personne ne sait si je veux ou non un enfant (vous l’aurez compris, je suis nullipare). Et pourtant, tout le monde a constaté unanimement que je n’en voulais pas. Voilà pourquoi je garde cette thématique bien au chaud dans ma sphère intime, vous n’avez pas envie de vous mêler de vos oignons. Et puis il y a une grande hypocrisie autour du ventre des femmes.
Je parle volontiers parentalité et sexualité avec plus ou moins n’importe qui tant que ça ne m’implique pas à titre personnel. Je n’ai pas à m’expliquer là-dessus mais j’ai bien compris qu’on attendait de moi que je me justifie. J’aspire à la tranquillité et j’ai une sainte horreur de l’intrusion, ça ne fera jamais débat.
En couple depuis 17 ans, je tends le bâton pour me faire battre
J’ai rencontré mon conjoint actuel à l’âge de 19 ans. Toutes les réflexions relatives au mariage et aux enfants, je les ai entendues avant mes 25 ans. À cette époque, a priori le Néolithique, j’étais surprise qu’on m’emmerde autant avec tout ça. Je ne me sentais pas concernée, j’étais encore étudiante et moi-même un gros bébé. J’ai toujours taclé les personnes intrusives, l’idée est qu’on ne s’y reprenne pas à deux fois. Mais les gens sont curieux et aiment donner leur avis, qu’importe leur position hiérarchique dans notre cercle social.
Ma culture du secret ne vient pas de nulle part et peut-être est-elle pathologique, allez savoir. De toute façon, si tel est le cas, ça ne concerne que moi et la médecine. Je ne me vois pas comme une femme mystérieuse et mon introversion n’a rien à voir avec la choucroute. Non, si je refuse de parler de mon désir (ou non) d’enfant, c’est à cause des autres.
Ces phrases que vous trouvez normales mais qui ne le sont pas
Ma propre mère m’a dit plusieurs fois : « Vraiment, il ne faut jamais faire d’enfant. » Pour autant, elle dit ne pas regretter d’avoir eu les siens et je la crois. Ça n’a aucun sens et c’est du pain béni pour les psychologues de comptoir. J’ai une tendresse infinie pour celles qui regrettent d’être mères, c’est un sujet qui ne doit plus être tabou. Il faut accompagner ces femmes, à la fois pour elles-mêmes et pour que leurs enfants ne subissent pas cette potentielle souffrance. La construction d’un être au sein de sa propre famille a de l’influence sur le futur, quand elle est bancale ça peut faire d’énormes dégâts.
Mes ami·e·s, aussi chouettes soient-iels, ne sont pas en reste. Il y en a qui ne veulent pas d’enfant et le revendiquent en axant leur argumentaire sur le contexte sociétal et écologique. C’est leur droit le plus absolu, aucun jugement ne sera émis. Vouloir un enfant ou non est valide, le revendiquer ou non est valide, déployer un argumentaire, quel qu’il soit, ou non est valide. Ceci ne doit pas être discuté. Quand on fait ce choix pour soi et quand, parfois, on en fait un acte militant, on souhaiterait que les autres l’appliquent aussi même si ce n’est pas forcément conscient. Une culpabilité chez les autres peut alors se développer : « Si je choisis de faire un enfant, va-t-on me regarder de travers lorsque la banquise aura définitivement fondu ? » ou « Si je choisis de ne pas avoir d’enfant, est-ce bien à cause de l’avenir de l’humanité sur notre planète ? Dois-je penser avec mon statut de privilégiée blanche en Occident ou est-il de mon devoir d’élargir le spectre ? » Où en sommes-nous de notre abnégation ? C’est aliénant, oui, tout à fait.
Il n’y a pas si longtemps, un pote racontait que sa sœur venait d’avoir un troisième enfant. Il a dit : « Elle a 35 ans, faudrait peut-être arrêter maintenant. » Uppercut indirect. J’ai 35 ans moi aussi et je suis nullipare, la société me considère déjà périmée. Saviez-vous qu’une grossesse passée cet âge est appelée grossesse gériatrique ? On adore. L’an dernier, un autre ami m’a dit sur le ton de la certitude que je n’aurai jamais d’enfant, sous-entendant que, dans le cas contraire, ce serait déjà fait. Et puis, ce mois-ci, j’ai papoté avec une copine qui vient de se marier et ne veut pas d’enfant. Elle m’a dit : « Mais de toute façon, vous, vous êtes comme nous. » Des fois que ça ne serait pas bien clair, je vais me répéter : je ne parle à personne de mon désir (ou non) d’enfant. Jamais. Mais tout le monde sait.
Rien n’est jamais dit avec malice ni méchanceté et l’idée n’est pas de pointer du doigt ces intervenant·e·s de façon individuelle pour les blâmer. Tout simplement parce que le problème est systémique. Si nous faisons des efforts chaque jour pour garantir aux femmes leur liberté de choix et de ton, nous sommes encore loin du compte. Je suis féministe et je milite fermement pour le droit de mes congénères à disposer de leur corps. C’est-à-dire que je suis pour le droit à ne pas avoir d’enfant comme d’en concevoir dix, et je suis pour l’IVG. Le ventre des femmes est intime et son fonctionnement ne peut être discuté qu’en présence de leur propriétaire et avec leur consentement. Je pense que c’est pour toutes ces convictions qu’on pense ne jamais me voir enceinte.
Alors maintenant, on se concentre
Mais… Si je ne vous dis rien, comment pouvez-vous affirmer que je ne l’ai jamais été ? Peut-être ai-je eu recours à une/des IVG. Peut-être ai-je fait une/des fausses couches. Peut-être n’ai-je jamais été enceinte, par choix ou par difficulté(s). Et alors des difficultés, il y en a plein et elles ne concernent pas toujours l’utérus. Peut-être que je ne voulais pas d’enfant il y a dix ans mais que maintenant si… ou l’inverse. Vous ne savez pas tout ça mais vous pourriez mettre votre main au feu. C’est pour ça que je continuerai à me taire et à éluder, il faudrait d’abord être en mesure de recevoir l’information, c’est-à-dire sans jugement, sans plaintes, sans remarques et sans conseils non sollicités. Ces derniers sont très souvent des causes de tristesse, voire de désespoir, d’agacement et de colère. On devrait davantage s’en soucier.
Tant que les propriétaires d’un utérus en état de marche ne seront pas libres à 100 %, tant que toutes ces questions seront connotées, tant qu’on ne vous ouvre pas la porte, vous n’avez pas à aborder le sujet à notre place ou en nous prenant de court. Finis, donc, les « Alors, c’est pour quand ?« . De toute façon, si je n’ai toujours pas enfanté dans cinq ans (quel suspense), on me reprochera mon égoïsme avant de me demander si je suis stérile. En revanche, si je le fais, on aura probablement l’envie de me chahuter puisque les gens « savaient ». Vivement le futur…
Le ventre des femmes est le lieu de toutes les questions, quelles que soient leurs vies leurs avis leurs envies. J’ai eu à justifier et expliquer ma grossesse à 20 ans, et je me retrouve dans la même situation de devoir expliquer et justifier à 36 ans, et ma fille, du haut de ses 15 ans à déjà eu à répondre de son désir (ou non) d’enfants plus d’une fois.
Nos ventres appartiennent à la communauté, quoiqu’on dise ou qu’on taise. J’espère que ça changera …
Nos ventres ne nous appartiennent plus dès qu’il est question de grossesse, c’est exactement ça. Parfois je suis partisane de la réponse trash mais il faut faire attention à qui on la donne, ça peut avoir des effets indésirables. Si les réflexions viennent des hommes, je n’hésite plus à dire que j’ai subi 4 (chiffre variable) IVG/fausses couches, que ce soit vrai ou non au moins après j’ai la paix.